Arvet-Touvet (1841-1913)

Prénom : Casimir

Nom standard : Arvet-Touvet

Espèces décrites : 4

Biographie : France. Article de Pierre Jacquet (l'Orchidophile n°113, Octobre 1994) : Deux taxons d'orchidées sauvages de notre pays, récemment élevés au rang d'espèce, Dactylorhiza angustata (Arv.-Touv.) Tyt. & Gath. et Epipactis distans Arv.-Touv., viennent bien opportunément rappeler à notre mémoire collective un botaniste, inconnu des orchidophiles, mais qui a eu son heure de gloire dans un autre domaine de la botanique, celui des Epervières, ou plus précisément du genre Hieracium, dans la famille des composées, mais qui paraît aujourd'hui bien oublié. Jean-Maurice Casimir Arvet-Touvet n'était pas destiné à devenir un savant botaniste. Il est né le 4 Mars 1841 dans le petit village de Gières, aux portes de Grenoble, dans une famille d'agriculteurs aisés. Il a passé toute sa vie dans la demeure bourgeoise héritée de ses parents. Placé au Petit-Séminaire de Grenoble, il imitera bientôt son illustre modèle Tournefort en "faisant le mur" pour aller herboriser dans la campagne avoisinante en toute liberté. Il entame ensuite des études de droit, mais il préfère bientôt s'occuper de son exploitation familiale, qui lui procure des revenus modestes, mais dont il se contentera toute sa vie, en dépit d'une certaine gêne financière, lorsqu'il s'est agi de faire des voyages ou de financer les publications de ses travaux. Très jeune, il a donc découvert la botanique dans les ouvrages de ses compatriotes dauphinois, Villars et Mutel, et il a eu le privilège d'être guidé sur le terrain par trois mentors éminants de l'époque, les abbés P. Faure et Ravaud et J.B. Verlot (qui va créer le jardin botanique de Grenoble). Il combat vaillament au cours de la guerre de 1870 et manque mourir de maladie. C'est en 1871 qu'il publie son premier travail botanique, dans lequel il décrit 100 plantes nouvelles et notamment 5 taxons d'orchidées. Il publiera de nouveau ses observations botaniques sur les plantes de la région en 1872, 1876 et 1883, mais déjà sa vocation scientifique est en quelque sorte scellée : il va devenir le "champion" des Epervières, ou Hieracium, le genre peut-être le plus difficile de toute la botanique, et il ne va pas tarder à dépasser tous ses devanciers, y compris son compatriote Villars, pourtant considéré comme "botanicorum hieraciologicorum princeps" ! C'est donc son étude de 1871 sur une centaine de formes nouvelles de plantes des environs de Grenoble que figurent ses travaux sur les orchidées. On y trouve Orchis palustris et Chamorchis alpina, nouveaux autour de Grenoble, mais également une variété biliba d'Orchis laxiflora, un hybride, Dactylorhiza majalis × Gymnadenia conopsea et les deux taxons qui nous intéressent : Dactylorhiza angustata (appelé Orchis angustata n.) et Epipactis guttasanguinis n., qui, dans son article de l'année suivante, deviendra Epipactis distans n. Epipactis gutta-sanguinis est l'objet d'une diagnose latine précise et le nom provient de la macule pourpre intense qui orne l'épichile. Le nom d'Epipactis distans, se rapporte à la longueur des entrenoeuds (plus longs que les feuilles). Je ne résiste pas au plaisir de reprendre la diagnose française : "Cette espèce, très distincte à mon avis, est caractérisée par des entrenoeuds très allongés pour le genre, ses feuilles rondes ou les supérieures ovales, ordinairement presque de moitié plus courtes que les entrenoeuds, ses bractées inférieures largement lancéolées, plus longues que les fleurs. De plus, et c'est ici le caractère essentiel, la conformation de la fleur n'est pas exactement la même que dans les autres Epipactis. J'avais observé soigneusement sur le vif cette différence et je l'avais prise en note mais cette note s'étant égarée, j'avance sous réserves qu'ici le gynostème, au lieu d'être dressé ou porrigé, est réfléchi et couvre à demi la gorge du périgone." Dans une note manuscrite de 1877, Arvet-Touvet montre sa modestie en indiquant que son texte de 1871 "contient une centaine de formes dont nous ne croyons pas qu'il y ait plus d'une vingtaine qu'on puisse maintenir comme espèces véritables ou hybrides". En fait, il a donc fallu plus d'un siècle pour que les deux taxons d'orchidées qu'il a décrits soient redécouverts et acceptés. Il ne m'appartient pas de développer ses études sur les Epervières, mais, dès 1887, il publie, dans le Bulletin de la Société Linnéenne de Lyon, "Les Hieracium des Alpes françaises ou occidentales de l'Europe", oeuvre qui le place aussitôt au niveau mondial parmi les spécialistes. En 1908, "Hieraciotheca Gallica et Hispanica" fait de lui le maître incontesté dans sa catégorie, pour employer un langage sportif. La dernière partie de sa vie sera consacrée à l'élaboration de "Hieracium praesertim Galliae et Hispaniae Catalogus systematicus", aboutissement d'un demi siècle de travail. Pour ce dernier ouvrage, il a pu sur l'aide dévouée et affectueuse de deux éminents botanistes de l'époque, Gaston Gautier et l'abbé Coste. Il écrit la dernière de son manuscrit le 3 Mars 1913 et, peut-être empli d'une louable émotion en contemplant, dans son esprit, l'étendue de son oeuvre, il meurt en dormant, dans la nuit du 3 au 4 Mars, le jour même de son soixante douzième anniversaire! C'est l'abbé Coste qui veillera à la publication de son dernier magnum opus. Casimir Arvet-Touvet est enterré au cimetière de Gières, dont l'entrée s'orne d'une fontaine que notre botaniste a offerte en 1898. La tombe où il repose avec ses parents est malheureusement à l'abandon. Arvet-Touvet était alors mondialement connu et reconnu et pouvait développer ses idées sur la botanique et notamment sur la notion d'espèce. Pour lui, les espèces ne doivent pas être regardées "comme des conceptions arbitraires de l'esprit humain, mais comme des créations sorties à des époques diverses de la puissante main de Dieu". Mais il était l'adversaire du Lyonnais Alexis Jordan et de son concept d'espèce "immuable" et de ce qui deviendrait le Jordanisme. Ardent partisan de Linné, il avait sien ce précepte du génial suédois "Naturae opus est species". A ce titre il rejetait la notion de sous-espèce. Il écrit clairement à son ami Saverio Belli (1899) : "Je n'admets point les sous-espèces, c'est à dire les espèces qui seraient en voie de formation. Vous me dites : "mais vous admettez bien les sous-genres, donc vous êtes transformiste vous aussi". Mais entre le genre et l'espèce, il y a un abîme ! L'espèce seule existe dans la nature, et elle est la base de toute l'histoire naturelle ; le genre n'existe pas ou, pour mieux dire, n'existe qu'artificiellement". On retrouve ici les prémices d'une polémique bien actuelle dans le domaine de l'orchidologie ! Le patriarche de Gières était, comme beaucoup de savants spécialistes, d'un naturel peu communicatif et pouvait se montrer bourru à l'occasion. Nous ne retiendrons de lui que l'image d'un savant intègre, modeste et consciencieux, dont le travail opiniâtre mérite notre reconnaissance, même si celle-ci est bien tardive, puisque nous ignorions tout de lui encore récemment, et qu'il a fallu des études élaborées, sur des taxons considérés comme problématiques, pour voir resurgir son nom comme découvreur d'orchidées.

Variantes du nom : Arv.-Touv., Arvet

Liste des espèces décrites (nom actuel entre parenthèses) : Epipactis distans Arvet-Touvet 1872, Epipactis gutta-sanguinis Arvet-Touvet 1872 (Epipactis helleborine), Orchis angustata Arvet-Touvet 1871 (Dactylorhiza angustata), Orchis biloba Arvet-Touvet 1872 (Anacamptis laxiflora)


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